La pépite française Whylot est sur le point d’industrialiser son innovant moteur à flux axial pour l’automobile, en partenariat avec le constructeur Renault. Industrie & Technologies revient sur les spécificités de cette technologie de rupture ainsi que les ambitions de Whylot avec son fondateur et PDG, Romain Ravaud.

Moteur-crêpe vs moteur-saucisse. Créée en 2011, la start-up lotoise Whylot innove dans la famille – très installée – des moteurs électriques, traditionnellement de forme cylindrique et « à flux radial ». Grâce à son architecture innovante (plus aplatie), la machine électrique Whylot – dite « à flux axial » – fait un bond en termes de performances. La startup a même séduit le géant Renault qui a annoncé, le 23 novembre, avoir acquis une participation minoritaire de 21 % dans Whylot. Retour sur cette technologie de rupture et le partenariat qui lie Whylot et Renault avec Romain Ravaud, fondateur et PDG de la jeune société.

Industrie & Technologies : Pourquoi un géant mondial de l’automobile tel que Renault s’intéresse-t-il à la machine à flux axial, beaucoup moins mature que les technologies à flux radial (machine asynchrone, à aimant permanent, à rotor bobiné) ?

Romain Ravaud : Plus compacte et plus légère que les moteurs à flux radiaux traditionnels, la technologie à flux axial a beaucoup de valeur et Renault n’est pas le seul à s’y intéresser. La startup britannique Yasa, qui développe également des moteurs à flux axiaux, vient par exemple de se faire racheter à 100 % par le constructeur automobile Daimler.

Quelle est la genèse de ce partenariat stratégique ?

Nous avons démarré notre collaboration avec Renault en 2017. Le groupe a d’abord souhaité tester la technologie Whylot, pour s’assurer que les performances que nous annoncions en termes de rendement, de puissance et de couple étaient effectivement meilleures que celles des moteurs à flux radiaux du commerce. Les essais (assurés par un tiers) ont confirmé la théorie. Après plusieurs mois de discussion, nous avons conclu un accord commercial et capitalistique.

Nous avons reçu de nombreuses demandes d’entrée au capital depuis quelques années, mais celles-ci étaient surtout portées par des financiers. Or, nous ne voyions pas d’intérêt stratégique à s’allier avec des acteurs financiers. Au contraire, s’adosser à un grand groupe automobile comme Renault, français de surcroît, a notamment pour avantage de nous apporter un marché !

Quelles sont les performances dont vous parlez ?

Notre rendement (machine seule en régime continu) est important, il peut atteindre jusqu’à 97,5 %, avec des pointes à 98%. Nous proposons également une gamme de puissance très large, de 25 kW à 300-400 kW, selon les applications.

En relatif par rapport aux moteurs à aimants permanents (flux radial), nous gagnons entre 15 et 20 % en masse, nous consommons entre 20 et 30 % d’énergie en moins et pouvons gagner jusqu’à 50 % en volume.

L’utilisation d’aimants permanents, dopés aux terres rares, dans les moteurs électriques fait partie des enjeux auxquels la filière automobile doit faire face. Vos moteurs nécessitent-ils des aimants permanents ?

Nous avons toujours recours aux aimants permanents mais, comme nos moteurs chauffent moins, nous pouvons réduire les doses de dopages chimiques jusqu’à 50 %. En d’autres termes, nous utilisons des aimants permanents pourvue d’une quantité en terres rares (en particulier le dysprosium) moins importante.

C’est étonnant que votre technologie de moteur chauffe moins. Plus compacts, les moteurs à flux axiaux disposent en principe de moins de surface pour évacuer la chaleur que les moteurs à flux radiaux, comme l’a soulevé Romain-Bernard Mignot, ingénieur spécialiste en modélisation et optimisation de moteurs à flux axial, lors d’un échange avec Industrie & Technologies

Si l’on compare deux machines – l’une à flux axial, l’autre à flux radial – de rendement identique, alors oui, la machine à flux axial risque de chauffer davantage parce qu’elle est plus petite. Sauf que, si le moteur Whylot est bel et bien plus petit, notre rendement est meilleur. Résultat : notre machine chauffe moins. C’est d’ailleurs l’un des grands atouts de la technologie Whylot, qui s’explique en grande partie par notre rotor.

Qu’est-ce qui différencie le rotor Whylot ?

D’une part, il y a la manière dont on conçoit le rotor (sa topologie), qui nous permet de réduire les pertes… même quand on monte en vitesse ! Je ne peux pas en dire plus. D’autre part, il y a également le recours aux matériaux composites pour le rotor, grâce auxquels nous évitons les pertes par courant de Foucault. Il y a pas mal de science dans notre technologie de rotor… il condense 10 ans de recherche !

Vous avez annoncé, en décembre 2020, avoir lancé un programme de plus de 10 millions d’euros d’investissement, dont la moitié (5,1 millions) serait financée par France Relance. Où en êtes-vous dans le processus d’industrialisation ?

Nous n’avons pas encore reçu l’argent de France Relance. Pour l’instant, nous disposons d’une usine [à Cambes, dans le Lot, ndlr] de 1500 m², avec une partie laboratoire, une zone d’essai et un espace dédié à la production unitaire. Nous produisons en effet aujourd’hui de très grosses machines électriques (de 1 MW) pour un marché de niche, comme les bancs d’essai qui servent à tester des pièces mécaniques (des engrenages dans l’aéronautique par exemple).

Notre programme d’investissement concerne principalement notre projet d’extension de l’usine actuelle. Nous disposerons d’un espace de 2500 m² supplémentaire destiné à la production en série de nos moteurs à flux axiaux pour le secteur automobile. La démarche est totalement différente : nous allons ici viser des marchés de très grands volumes. Renault a annoncé le démarrage de la production en 2025.

L’industrialisation des moteurs à flux axiaux n’a rien d’évident, notamment en raison d’enjeux liés à la stabilité mécanique au niveau du rotor. Avez-vous surmonté l’ensemble des verrous ?

Par rapport aux lignes de production de moteurs à flux radiaux, il y a effectivement besoin de mise au point au niveau de l’assemblage de la machine, pour qu’elle soit bien équilibrée (avec des problématiques mécaniques associées), mais ce n’est pas un verrou majeur. L’enjeu principal consiste à adapter les différentes machines (d’assemblage, de production, de soudure, etc.) à cette nouvelle technologie. Mais il y a un « carryover » [un portage, ndlr] assez important entre les process de production de machines à flux radiaux et axiaux.

Au-delà de l’automobile, avez-vous d’autres marchés en ligne de mire ?

Dans les années qui viennent, nous allons continuer à investir dans la recherche, à viser les marchés de niche (sur lesquels nous n’avons pas de concurrence) sur lesquels nous sommes bien positionnés et nous lancer dans le secteur automobile sur de très grands volumes (qui représente plusieurs milliers de moteurs par an). Nous travaillons par ailleurs sur un programme, assez long, avec des acteurs de l’aéronautique. Notre techno les intéresse (en propulsion ou en effet booster), car il s’agit d’un secteur très sensible à la performance massique et au rendement.

Nous sommes aujourd’hui 25 salariés et allons bientôt atteindre les 50, alors qu’il y a 10 ans j’étais tout seul à me lancer dans l’aventure. Nous sommes sur une bonne trajectoire !